Télé Confinement

Cher journal,

Aujourd'hui, je me suis profondément interrogée. En effet, j'ai eu une longue conversation hier avec Federico, mon livreur Toupargel, qui m'a fait ouvrir les yeux sur bien des choses. Alors que je tournais en rond comme une lionne en cage parmi les arbres fruitiers du verger de mon chalet dont les vastes persiennes ne me laissent entrevoir rien d'autre que le miroitement d'un lac de montagne et quelques bourgeons de cèdre, en proie à un terrible abattement après avoir regardé sur ma tablette l'allocution de notre premier ministre Edouard Philippe qui avait l'air si soucieux sous sa barbe mouchetée, soudain, un son tintinabulant m'arracha à mes noires pensées. Le carillon du portail ! C'était Federico, mon fidèle Federico, qui m'apportait ma commande de la semaine – un tournedos de bœuf charolais, une entrecôte black angus, quelques soles meunières, une pluma de pata negra, cinq barquettes de panais et... les si savoureux mini-bâtonnets Magnum Double Raspberry framboise, indispensables compagnons de mes longues soirées solitaires. Alors qu'il transportait les colis directement dans mon congélateur – nous nous connaissons depuis bientôt trois ans, je lui fais une confiance absolue –, je ne pus m'empêcher de lui faire part de mes profondes inquiétudes quant à la marche de notre monde, en des temps où nous sommes contraints de vivre au jour le jour, et où personne, pas même Federico, ne peut me garantir qu'il y aurait encore de l'entrecôte la semaine prochaine. Alors, Federico eut ce geste dont je me souviendrai encore longtemps : il prit, malgré mon mouvement de recul (oh, ces précautions sanitaires qui nous rendent fous!), mes mains dans les siennes, ces mains robustes qui voient tant de pays jour après jour, ces mains qui ignorent la peur, ces mains qui ne connaissent pas le découragement, et, de sa voix chantante, il me dit : « N'ayez pas peur, Marie. L'espoir est là, en vous, et c'est à vous de le retrouver, et de le faire chanter, aussi fort que vous pouvez. Ayez foi en l'avenir, Marie. Votre mission, si vous l'acceptez, est de le voir tel qu'il est : radieux. » Aussitôt, je fondis en larmes, touchée en plein cœur par ces mots empreints de cet optimisme propre aux gens du Sud.

Toute la nuit, les mots de Federico ne me quittèrent pas, je m'y raccrochai sans relâche, comme à une bouée de sauvetage en pleine Méditerranée. Et ce matin, quand les premiers rayons vinrent me tirer de mon sommeil, par les interstices des vastes persiennes précédemment évoquées, je me levai d'un bond, déterminée à chercher en moi cet espoir, et à le faire chanter, à ma manière, avec les maigres outils dont je dispose dans mon grand chalet vide. Je me saisis donc de mes quelques crayons, et j'entamai un dessin, fébrilement, sans réfléchir. Sous mes doigts, je vis naître un oiseau, un oiseau porteur d'amour, de liberté, d'insouciance, et cet oiseau, qui plane sans entraves au dessus des tourments de notre monde, sera désormais mon compagnon et mon messager, et il portera ce nom : Federico, en hommage à celui qui me fit ouvrir les yeux alors que je ne voyais plus que du noir.

Vole, Federico, oiseau de l'arc-en-ciel, et délivre-nous, car le découragement ne fait pas partie de la gamme d'émotions que tu t'autorises – et c'est en cela que tu es notre sauveur.

Marie Klock



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